Joueb.com
Envie de créer un weblog ? |
ViaBloga
Le nec plus ultra pour créer un site web. |
Lu sur : Triangles Roses « En décembre1932, j'avais eu tout juste vingt ans. A vrai dire, c'est l'âge où d'ordinaire les choses se mettent en train. Par là, je veux dire : la vie en général. Mais chez moi, il ne se passait pas grand chose. » [...]
Pourtant, « presque inévitablement » selon ses propres termes, il finit par tomber sur d'autres hommes qui partagent sa sensibilité. Il entend parler d'endroits où de tels « anormaux » se rencontrent nuitamment, dans l'obscurité et en secret. Un jour, taraudé par une anxiété intérieure et une nostalgie frustrée, il se rend en ces lieux. Il y noue à la hâte des contacts essentiellement porteurs d'insatisfaction.
« La plupart de ceux que je rencontrais étaient tout aussi complexés et angoissés que moi. Que pouvait-il bien advenir de tout cela ? Mais, à mesure que les années avançaient, cela devenait encore pire : à partir de 1934-35, les nazis amorcèrent la persécution systématique des homosexuels. Lorsqu'il leur arrivait d'en arrêter un, ils le maltraitaient pour qu'il en dénonce d'autres. »
En 1939, Karl a 26 ans. Alors qu'il ne se doute de rien, la Gestapo vient l'appréhender chez lui. Plus tard, les fonctionnaires lui apprennent que quelqu'un l'aurait dénoncé pour infraction à l'article 175.
« Naturellement, j'étais horriblement effrayé. Lorsque j'appris dans quelles circonstances le délateur avait pu me voir, les graves soupçons que j'avais eu se vérifièrent : la dénonciation était le fait d'un ancien amant que j'avais éconduit. Il avait agi non par besoin, mais par pure jalousie. Oui, c'était ainsi. On ne pouvait se fier à personne, vraiment à personne... »
Karl B. est mis en détention par la Gestapo. Quelques jours plus tard, un officier SS le force, sous la menace d'un revolver, à signer des aveux. Au bout de quelques semaines, sans même qu'il comparaisse devant un tribunal, il est transféré comme « triangle rose » dans le camp de concentration que l'on construit depuis décembre 1938 à Neuengamme, tout juste trente kilomètres à l'est de Hambourg.
Il n'y a pas de chambres à gaz à Neuengamme. On y applique plutôt la devise brutale de l'extermination par le travail. Eté comme hiver, les détenus sous-alimentés et insuffisamment vêtus doivent produire des briques dans une grande carrière. Dans plusieurs annexes du camp, ils travaillent également pour l'armement. Mais les travaux étant réputés comme étant les pires consistent à régulariser le cours de l'Elbe, ce qui oblige les prisonniers à rester des heures entières dans l'eau glacée du fleuve. Jusqu'à son évacuation en avril 1945, le camp verra passer plus de 100 000 prisonniers venus de toutes les nations européennes. 56 000 d'entre eux périront à Neuengamme.
Le 1er juin 1943, Karl B., qui peut travailler comme infirmier à l'hôpital, doit quitter le camp pour Auschwitz. [...]
Déjà, durant le trajet vers Auschwitz, Karl B. réussit discrètement à détacher le triangle rose de son vêtement de prisonnier et à le faire disparaître. A son arrivée à Auschwitz, on le fiche et on le photographie et, lorsqu'on lui demande la raison de son incarcération, il a la présence d'esprit de répondre : « Politique ! »
Sans lui demander davantage de précisions, on lui attribue le triangle rouge des prisonniers politiques et un nouveau matricule de prisonnier : 124630. Rien qu'avec cela, il s'est déjà hissé d'un des « rangs les plus bas » de la hiérarchie carcérale. [...]
« Dans le fond, encore aujourd'hui, je ne puis m'expliquer la chance que j'ai eue. Je n'avais pourtant aucun contact spécial lorsque je suis arrivé à Auschwitz. Je ressemblais bien plutôt à une épave et n'en aurais sans doute plus eu pour longtemps si, à partir de ce moment-là (et en comparaison avec la plupart des autres prisonniers du camp), ma vie ne s'était améliorée. Ne serait-ce que de pouvoir manger un peu plus, de temps à autre, et ainsi de suite... »
Extrait de La Déportation des Homosexuels, onze témoignages, Allemagne 1933-1945 de Lutz van Dijk, éditions H&0, 2000.
Photo : Photo anthropométrique de Karl B., prise lors de son arrivée à Auschwitz. Editions H&O.